Regards obliques

Publié le par huguettedreikaus

Il est bon de savoir éliminer de sa mémoire des événements douloureux. Nous avons alors ce qu'on peut appeler le regard oblique. Tel Patrick. Il venait d'être victime d'un accident de la route qui lui avait déplacé le bassin et il disait aux ambulanciers : « C'est affreux, j'ai perdu mes lunettes. »

Regardez Jean-Paul Kaufmann après sa captivité au Liban. « À quoi pensiez-vous dans votre geôle où la mort vous menaçait ? » « Je me remémorais les crus classés du Bordelais ». Voilà comment des lunettes ou une liste de vins peuvent compenser les grandes détresses.

La détresse, il faut dire que l'actualité se charge de la renouveler avec un soin enragé. A quoi riment ces guerres horribles dont on voudrait sortir comme on quitte un cinéma lors d'un mauvais film ? À quoi riment ces combats de chefs aussi nuls que des combats de coqs avant les fêtes de Noël, quand on sait qu'ils finiront tous à la casserole ?

Devant ces tableaux du monde aussi pleins de cadavres qu'une oeuvre de Matthias Grünewald, j'ai moi aussi pris un regard oblique pour considérer la fable contemporaine de ce coffre de voiture qui s'est ouvert au hasard d'un banal accident de la route, sauvant une adolescente enlevée dans le Gard.

Il faut savoir qu'un coffre de voiture ne sert pas qu'à transporter les bagages des vacances ou les cartons des déménagements.

Louis de Funès y planquait des substances diverses dans « Le Corniaud » ; c'est le coffre du délinquant.

Mon oncle Jules y a planqué sa nouvelle femme qu'il voulait déjà amener chez lui le jour d'avant les obsèques de ma tante ; c'est le coffre du vicieux.

Mon voisin y entrepose ses bouteilles de rouge pour boire en douce : le coffre de l'alcoolo.

Ma nièce y cache ses tenues de rechange : elle quitte la maison vêtue comme une confirmante protestante et pousse la porte de son magasin de coiffure habillée en Lady Gaga de la campagne.

Le coffre de la voiture est le règne du «ça», du moi profond et pas toujours avouable.

Ouvrez-moi le coffre de votre voiture et je vous dirai qui vous êtes ! Chez moi, il est un purgatoire de l'objet fraîchement acheté. Après son acquisition, il patiente dans ce « no man's land » en attendant que je sois sereine. C'est un moment assez long pendant lequel je combats la mauvaise conscience liée à l'achat et le trouble qu'engendrera l'apparition d'un élément immanquablement perturbant dans l'harmonie de mon logement.

Confucius dit : « A voir l'usage que certains font de leur voiture, on se demande pourquoi elles ont encore des moteurs ». Comme dit Lili « Moi, je ne bouge plus la mienne. Pour une fois que j'ai trouvé une place de parking gratuite devant chez moi, je la garde ».

Ce qu'elle a dans son coffre ?

Les bouteilles d'eau et le sac de pommes de terre qu'elle n'a pas envie de monter au quatrième sans ascenseur.

 

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