Rendez-vous manqués

Publié le par Huguette DREIKAUS

Vous tombez sur une ancienne camarade de classe au milieu d'un défilé de carnaval, vous la reconnaissez un peu grâce à ses yeux, elle vous parle des heures magnifiques que vous avez passées ensemble, vous ne vous souvenez de rien, vous vous promettez de tester votre mémoire puis elle ajoute : « Mais viens donc une fois chez moi ! », invitation suivie de la remise d'une carte de visite imprimée par un site internet de cartes gratuites.

Ou bien vous enterrez une vieille tante - que vous pensiez morte depuis longtemps - et votre cousine Joséphine vous tombe dans les bras : « Jo, je suis contente de te voir ! Mais viens donc une fois chez moi, tu me manques ! », et hop, revoilà une carte de visite du même genre que l'autre, sauf que le fond est bleu avec une étoile et non rose avec une rose. Moi, mes cousines ne me manquent pas car chaque fois que je les vois, la famille vient de perdre un de ses membres, ce qui me fait craindre la disparition de notre clan à ADN commun.

Des « Venez donc une fois », on m'en assène presque quotidiennement, mais sans dire la date et l'heure. L'invitation est vague, lancée en l'air comme un ballon dont on attend qu'il arrive quelque part mais sans penser une seconde à déprimer si on en perd la trace.

Alors, dès qu'on me dit « Mais venez donc une fois », je demande des précisions. Quand ? À quelle heure ? Où ?... Les réponses ne se font pas attendre, on me fournit de quoi remplir mon agenda. Ensuite, à chaque fois, je note un phénomène étrange : un virus virulent anéantit les rendez-vous de mon calendrier. Un jour avant. Pile un jour avant, mon téléphone sonne. « Écoute, ça n'ira pas pour notre rendez-vous de demain, maman ne va pas bien, je dois l'accompagner à la clinique. » Ou : « Je suis désolée pour demain, je viens d'avoir un accrochage avec la voiture, demain je dois aller à l'assurance, voir l'expert, enfin tout ça. » Ou encore : « Ecoute, j'ai un contretemps pour demain, j'avais oublié mon rendez-vous chez l'ophtalmo, j'ai attendu un an pour l'avoir, je ne peux pas reporter »...

Fichtre ! Je suis allée chez un psy. C'est terrible tous ces pépins qui arrivent aux gens juste la veille de ma venue chez eux ! À se demander si tu ne leur portes pas la scoumoune ! Je bats ma coulpe ! Si vous saviez combien j'ai occasionné de foulures, de gastros, de chutes à vélo, de migraines, de torticolis, de courses aux urgences ! Juste parce que j'étais censée « venir une fois les voir !!! » et que j'avais eu le malheur de prendre date. Parce que prendre date, c'est contraire aux usages.

« Venez donc me voir ! » Ce n'est pas une invitation, c'est un mot gentil, mais il n'engage à rien. Ce n'est qu'une expression qui signifie « On aurait tant de choses à se dire mais j'ai peur pour mon parquet et je n'ai pas envie de faire un gâteau » !

Méfiez-vous des expressions toutes faites qui ont perdu leur sens initial : même les « Je t'aime » sont des emballages vides !

Dorénavant si on me dit « Venez donc une fois nous voir ! », je hausse les épaules ; j'ai compris, mais je ne regrette rien : j'ai une superbe collection d'affreuses cartes de visite.

Rendez-vous manqués
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