Emportés par la foule

Publié le par Huguette DREIKAUS

Emportés par la foule

Par Huguette Dreikaus

Scène de train. Scène ordinaire. Un wagon de gens réunis par hasard, par des horaires communs, dans des transports horizontaux. Ce point commun ne fait pas le ciment de rencontres. On ne se parle pas. Chacun est occupé. Celui-ci écoute de la musique, les oreilles bouchées par des écouteurs. Celle-là joue à Candy Crush, le visage figé par l'attention portée au jeu. Le troisième fait ses SMS avec les pouces sur un clavier minuscule. La quatrième fait les soins quotidiens à apporter à ses ongles et Dieu sait que le monde disparaît quand on doit se concentrer sur la bonne répartition du vernis. Personne ne lève le nez. Comment faire pour que ces gens-là se parlent ?

C'est simple : enlevez leur le train. Laissez-les sur le quai et ils deviendront une foule irritée, revendicatrice et créatrice de slogans. « Pas de train, pas d'autorail ? Vous n'êtes que des canailles ». « Cheminots gare à vos jambonneaux ». Et ça scande et ça se donne la main pour une manif.

La foule naît de la pensée unique. « La foule, c'est quand tout le monde veut tout en même temps. » Merci, ce début d'année a largement illustré cette définition. J'ai couru. J'ai couru pour les soldes, marathonienne d'un jour, en quête de mes effets noirs, prête à me mesurer aux autres mais aussi rassurée par le fait de courir dans la même direction que les autres dans cette fraternité bisannuelle de ceux qui espèrent trouver chaussures à leur pied sans que cela leur coûte un bras.

J'aime cette fraternité conçue dans la lutte contre les prix chers et qui s'arrête devant les gondoles. Comme dit Confucius, « les lions courent en hordes pour échapper au feu mais s'écharpent devant la dépouille d'une gazelle. »

Le début des soldes, c'était le 7 janvier. 7 janvier, c'est aussi la date de ce terrible attentat. Les événements de la rue Nicolas-Appert, dans le XIe arrondissement de Paris, ont de nouveau agglutiné les molécules de millions de personnes comme la lave des volcans fait s'agglutiner entre eux les éléments de la nature les plus hétéroclites.

Une foule unie fait un peuple

Quatre millions de personnes dans la rue mues par un seul désir, « Ne plus jamais voir ça ». Rien de plus fort que les émotions collectives. Ce sont des foules que j'aime. « Mitnander isch immer scheener », comme dit Mamema.

Emportés par la foule qui nous traîne/

Nous entraîne/

Écrasés l'un contre l'autre/

Nous ne formons qu'un seul corps/

Aller dans la même direction, c'est s'aimer. Mercredi, le 14, c'est la foule des « J'aime Charlie » qu'on a, à nouveau, vue dans la rue mais pas une foule qui avance d'un pas lourd et silencieux. Non ! Une foule qui court comme celle des soldes. Direction les kiosques pour trouver le dernier Charlie. Celui de la semaine d'après. L'after. Raz-de-marée d'humains pour une razzia en règle. On se serait cru au bon vieux temps des magasins Goum dans cette lutte âpre que se livrent les clients quand tout article vendu devient un trophée. Facebook, tel le mur de ma place Rouge, portaient haut les photos des Conquérants de l'impossible brandissant le journal à la couverture verte exhortant les gens au grand pardon. Yom Kippour avec neuf mois d'avance.

Une foule unie fait un peuple. Quatre millions pour Charlie... 114 849 pour la grippe... Mais pour la grippe, la cohésion sera dissoute par les antibiotiques.

H. D.

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