Le cri et le bruit

Publié le par huguettedreikaus

Soirée dans un petit restaurant, le genre d'endroit que l'on choisit pour son décor chaleureux et ses plats qui subliment les marrons, les canards et les choux rouges. La bouche avale ces mets empreints d'une touche surnaturelle et émet des mots, des mots pas comme les autres, des mots qui font avancer les affaires, l'amitié ou l'amour.
Mais dans cette ambiance feutrée, on entend parfois des voix fortes, souvent des voix de femmes qui s'élèvent au-dessus des chuchotements complices de ceux qui sont réunis sous le même plafond marqueté. « Martine, tu sais que j'ai un I-Phone ! Jo, c'est le pied ! ». Et en écho « Jo ! ce truc me fait rire. Mon frère m'avait prêté le sien, j'ai joué avec pendant toute ma formation ! ». « Arrête, Martine, ces formations, ce sont des conneries ». Suivent quelques rires bien gras, propres à laisser des coulées de cholestérol dans les assiettes. Aux tables voisines, les conversations s'arrêtent. Les oreilles sont inondées par ces décibels de phrases vaines et ces gloussements de sopranos.

J'ai envie de crier ! Crier comme on crie pour prévenir d'un danger, comme on crie pour éviter le pire. Je voudrais pousser un cri pour sauver les conversations des gens réunis par l'amour de la volaille sur lit de marrons ou du dos de cabillaud au sel. Je voudrais élever la voix moi aussi, mais à bon escient.
Élever la voix n'est pas à la portée de tous. Élever la voix est un acte important. Les parents élèvent la voix pour remettre de l'ordre quand le comportement d'un enfant est inadmissible. L'orateur parle fort pour faire passer des messages essentiels. Le peuple crie dans la rue quand on l'oppresse. Les humains en détresse hurlent leur désarroi.
Faire usage d'une voix forte est lié à des circonstances exceptionnelles. Mais de nos jours, tout le monde gueule ! Alors les voix de ceux qui s'élèvent pour de bonnes raisons ne s'entendent plus. Dans les rues, les bus, les trains, les bistrots, on vocifère des « Hé Manu, qu'est-ce que tu fous ? », « Jeannine, je suis à la station Homme de fer, mets la soupe sur le feu », « Sabrina, si t'arrêtes pas de draguer mon mec, je te mets un coup de poing final ».
A force d'entendre des histoires de raviolis cramés, de « vache de musique » et de matchs perdus, on n'entend plus ceux qui ont vraiment des choses à dire. Crier, ça se mérite ! Le cri, c'est ce bruit qui sort des tréfonds de l'âme quand la vie devient insupportable. Écouter crier dans le couloir d'un hôpital !
Je ne mangerai plus de canard sur lit de marrons avec choux rouge au vin chaud. J'ai trop peur d'entendre à nouveau des voix bramer « Hé Martine, demain tu prends le train de 7h43 ou çui d' 8h02 ? ». « Pourquoi tu demandes ça ? Ça t'en bouge une ? ».
Comme dirait Confucius : « Dire haut et fort l'horaire des trains dans une conversation, c'est bête. Le dire à la gare si on est la voix des annonces, là c'est important ! »

Le cri et le bruit
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